Retail

Le flux piéton pour déterminer les loyers commerciaux

Alors que l’Hexagone est reconfiné depuis 15 jours, la profonde tension sur les loyers entre bailleurs et enseignes a resurgi. Pour Hakim Saadaoui, cofondateur de Mytraffic, la meilleure solution de paix pour régler ces conflits tiendrait à intégrer le flux piéton au calcul des loyers commerciaux. À court terme comme sur le long terme.

Alors que l’Hexagone est reconfiné depuis 15 jours, la profonde tension sur les loyers entre bailleurs et enseignes a resurgi. Pour Hakim Saadaoui, cofondateur de Mytraffic, la meilleure solution de paix pour régler ces conflits tiendrait à intégrer le flux piéton au calcul des loyers commerciaux. À court terme comme sur le long terme.

Business Immo : Comme pour le premier confinement, les tensions demeurent très palpables sur la question des loyers commerciaux. En tant que spécialiste de l’analyse des flux piétons pour le commerce physique, vous travaillez à la fois avec des enseignes et des foncières. Comment observez-vous ce climat particulièrement délétère ?

Hakim Saadaoui : Les tensions sont inévitables et vont perdurer ! Mais une « guerre des loyers » serait dans la durée destructrice pour tous. Propriétaires et commerçants ont tout intérêt à ce que les commerces physiques soient viables et chacun mesure les risques juridiques, financiers et de réputation d’une multiplication des contentieux. Pour autant, on voit bien qu’aucun cadre général ne pourra régler l’intégralité des situations particulières. Les directives du gouvernement, le cadre juridique existant ou les outils de régulation classiques sont inopérants face à une crise qui est inédite et qui génère une diversité de situation infinie. Les négociations se feront donc nécessairement de gré à gré. Mais le problème est de déterminer sur quelle base objective peuvent porter les discussions. Nous pensons que le flux piéton pourrait jouer ce rôle-là puisque, depuis quelques années, la technologie nous permet de mesurer avec une très grande précision le niveau de la fréquentation devant n’importe quel magasin, n’importe où en France. Dès lors, on peut déterminer de façon « juste » l’impact de la crise sur le commerçant.

Business Immo : De nombreuses associations de commerçants proposent que le critère du chiffre d’affaires soit retenu comme base de discussions pour exiger une baisse ou une annulation du loyer. N’est-ce pas le critère le plus évident ?

Hakim Saadaoui : Le chiffre d’affaires est un des éléments de la discussion, mais il ne peut pas être le seul. D’abord parce qu’il est partial, dans la mesure où il est fourni par une des parties, mais aussi parce qu’il est inadapté du point de vue du propriétaire. Un bailleur ne loue pas un local en garantissant un chiffre d’affaires, qui est du ressort du commerçant, il assure une commercialité en louant un emplacement et un flux associé. Si on ne retenait que le critère du chiffre d’affaires, on en viendrait à une situation absurde dans laquelle un commerçant méritant, qui aurait préservé son chiffre grâce au maintien de son personnel ou en investissant dans du click & collect, serait défavorisé par rapport à son voisin qui aurait fait le choix inverse.

Business Immo : Pourquoi le flux piéton deviendrait-il le meilleur médiateur pour régler les conflits bailleurs/commerçants ?

Hakim Saadaoui : La mesure du flux va rationaliser les discussions puisqu’il tient compte avec finesse de la diversité des situations particulières. Pour le dire simplement, tout le monde a souffert, mais personne n’a souffert exactement pareil. Trois exemples : dans le centre-ville d’Annecy, ville moyenne touristique, la fréquentation de la zone commerçante a connu un niveau élevé pendant l’été (jusqu’à 125 % de son niveau d’avant crise), avant de replonger au début de l’automne (80 %). Dans le centre de Bordeaux, autour de la porte Dijeaux, le trafic n’a jamais dépassé 65 % du niveau d’avant confinement, et s’établissait sur la période juin-octobre à une moyenne de 55 %. Dans le centre-ville de Dunkerque enfin, le niveau est revenu à la fréquentation d’avant crise dès la mi-juillet et s’est stabilisé depuis. Le raisonnement que Mytraffic fait ici à l’échelle d’un quartier, je pourrais aussi le faire à l’échelle d’une adresse précise dans une rue donnée. C’est ça la magie de l’analyse de flux : elle fournit une idée précise et objective de l’impact des événements extérieurs.

Business Immo : Comment être certain que le recours au flux piéton remporte une adhésion large sur le terrain ? Des bailleurs aux enseignes en passant par le pouvoir politique ?

Hakim Saadaoui : Nous travaillons déjà avec de nombreuses enseignes et bailleurs. Et les fédérations professionnelles comme les ministères sont pour nous des interlocuteurs incontournables, nous les alimentons régulièrement en données. La question que vous posez est de savoir si le secteur entier va faire la bascule « sur le terrain ». On parle d’un changement de paradigme qui, par construction, va prendre du temps. Mais il est évident que la crise va servir d’accélérateur, dans des proportions beaucoup plus importantes que ce qu’on aurait imaginé en début d’année et avec un champ d’intervention beaucoup plus large que la seule résolution des conflits.

Business Immo : Précisément, en quoi l’approche data-driven par les flux peut-elle changer durablement le marché immobilier ?

Hakim Saadaoui : Sachant qu’à 200 m près, le trafic d’une rue peut varier de 30 à 40 %, il serait logique que cette différence se retrouve avec une parfaite précision dans le loyer des locaux commerciaux. C’est aujourd’hui rarement le cas et cela se fait autant au détriment des propriétaires que des locataires. Nous pensons que le flux va s’imposer comme un instrument incontournable lors des transactions pour déterminer les loyers commerciaux. Cela deviendra un élément de transparence attendu de la part des commerçants et cela intégrera le discours commercial des foncières. Une foncière qui refuserait d’indiquer le trafic associé à son emplacement commercial aura plus de mal à trouver preneur, c’est aussi simple que ça.

Nous pouvons facilement aller plus loin, et imaginer que les baux commerciaux standards pourront inclure un facteur variable lié à l’évolution du flux piéton. La crise sanitaire illustre que les commerces sont face à une imprévisibilité croissante. Mais rappelons qu’avant elle, il y a eu les Gilets jaunes et les grèves de 2018 puis 2019.

Leurs modèles économiques sont bousculés par l’accélération du e-commerce. Il est assez clair que le modèle « classique » de l’engagement sur des baux longs avec des loyers fixes va être challengé. Grâce à la data de flux piéton, les loyers s’ajusteraient donc (à la hausse ou à la baisse) pour assurer une vraie flexibilité. Sur les plans économiques, pratiques et éthiques, cela constituerait sans doute une très belle avancée.

Propos recueillis par Aurélien Jouhanneau - Journaliste - Business Immo

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